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Episode 13 – Jo Keita & Aurélia Perez

En équilibre entre les continents, la voix baroudeuse de Jo Keita et le violon aux accents folk et sud-amérindien d’Aurélia Perez résonnent comme un appel à la créolisation de l’Amour.

Bonjour Aurélia et Jo, pouvez-vous vous présenter en quelques mots pour les auditeurs qui ne vous connaissent pas encore ?

A : Je commence le violon à 7 ans et adolescente, je m’inscris en chant lyrique et baroque, une formation musicale classique que j’effectue au Conservatoire de Musique de Saint-Etienne. J’ai un parcours musical riche depuis mon enfance, conservatoire, chant choral car c’est notre maman qui nous transmet sa passion : elle est pianiste, organiste et chef de chœur. A la maison, ma sœur apprend le clavecin et la contrebasse et mon frère joue de la clarinette, des percussions puis continue sa carrière en tant que chef d’orchestre et chef de chœur.

De 1999 à 2003, je crée et dirige un ensemble vocal mixte polyphonique à Saint-Etienne nommé « L’Accroche Chœur » qui propose un répertoire a capella autour des chants du monde.

Pendant 10 ans, je ne touche plus du tout à mon violon qui reste enfermé dans sa boite. Arrivée en région parisienne en 2004, je me réconcilie avec mon instrument et j’intègre l’orchestre symphonique EDF sous la direction de mon frère, Ludovic Perez puis de Mickaël Cousteau. L’occasion pour moi de voyager dans différentes régions de France afin d’y faire des représentations, et d’arriver à Marseille au détour d’un concert en 2013 au Palais du Pharo. Je tombe littéralement amoureuse de la cité phocéenne et c’est le moment pour moi d’embarquer toute ma famille pour aller vivre à Marseille. C’est là que je découvre les musiques et danses traditionnelles et plus particulièrement le forró. Je rencontre Emmanuelle Dollo, vielliste à roue qui me propose de faire partie du Trio Manou (vielle à roue, daf et violon). Avec cet ensemble, on a animé plusieurs bals traditionnels sur un répertoire centre France essentiellement : bourrées, valses, polkas… Par ailleurs, la musique traditionnelle brésilienne me passionne tellement que je m’imprègne de cette nouvelle culture en apprenant à danser le forró, et en continuant à travailler ma voix lors d’ateliers de chant brésilien, animés par Caroline Tolla. En 2019, j’ai l’opportunité d’être formée au violon brésilien avec Jorge Linemburg.  J’intègre le groupe Baile Da Lua en 2020, puis en avril 2021, nait le groupe Forró de 4 Tokes dans lequel je suis violoniste et choriste. Aujourd’hui, je souhaite explorer différents styles musicaux avec mon instrument, d’où cette nouvelle collaboration qui est née avec Jo Keita.

J : Jo Keita, de son vrai nom, Baye Moussa Keita, est né au Sénégal et a grandi en Côte D’Ivoire. Arrivé à Marseille en 2012, ce chanteur-auteur-compositeur, multi-instrumentiste, a multiplié les collaborations et les projets avec des artistes de la scène locale comme Ahmad Compaoré (créateur du label Musique Rebelle), Fred Pichot, le trio KBK et Jeff Kellner, membre du groupe La Noria.

Jo Keita puise sa musique dans ses origines africaines qu’il mêle à la culture pop et urbaine d’aujourd’hui. Une culture musicale éclectique nourrie de disques de Bob Marley, Salif Keita, mais aussi Otis Redding, Steel Pulse, positif black soul et Daaraji Family.

Ses compositions voyageuses, entre guitares saturées et kora inspirée, proposent une fusion de styles (folk, blues, soul, jazz et culture africaine). Ce polyglotte navigue entre wolof, anglais, bambara et français. Au Sénégal il a côtoyé les Baye Fall, confrérie spirituelle grâce à laquelle il a développé son chant et propose aujourd’hui cette voix atypique et sensuelle, puissante et timbrée qui évolue sur de riches mélodies.

Comment votre duo est-il né ?

Fin septembre 2022, nous nous sommes rencontrés après une soirée où Jo mixait avec ses vinyls. Cela a été l’occasion de nous parler pour la première fois alors que nous nous connaissions déjà à travers les réseaux et nos activités musicales respectives. À la suite de nos échanges, nous avons décidé de répéter ensemble pour croiser nos deux univers et voir s’il y avait moyen de collaborer.

Lors d’une résidence, entre la voix, la guitare et le violon, on a immédiatement trouvé un terrain d’entente harmonieux et on a enclenché une collaboration.

En 2 semaines, on a monté un répertoire sur les compositions de Jo et notre duo est né à ce moment-là lors de notre première représentation en octobre dernier.


Vous nous interprétez deux chansons de Jo : « Love » et « Baby« . De quoi et de qui ça parle ?

J : « Love » est une chanson en anglais et quelques parties sont en wolof, ma langue maternelle. Elle parle d’une déclaration d’amour. « Je te suivrai où que tu ailles », le refrain est très suggestif. Cette composition est la chanson d’amour idéale qu’on souhaiterait offrir à son amoureux/se. Dans le processus de création, j’ai d’abord posé les accords qui m’ont inspiré des paroles romantiques. Les interludes au violon renforcent ce sentiment et créent un dialogue.

« Baby » est un morceau où je me mets dans la peau d’un créole qui écrit une chanson de déception amoureuse. Celui-ci évoque une histoire que j’ai réellement vécue « Moi fâché, pou’quoi toi pa’ti, sans rien, dis-moin ». Dans le deuxième couplet, le jeu est plus rythmique avec une touche reggae.

Qu’est-ce que vous cherchez à transmettre avec ce répertoire ?

Le thème des chansons du répertoire est l’amour dans tous ses états. Il s’agit d’un moment de suspension musicale, d’écoute à travers une musique où deux univers différents se croisent pour créer une harmonie unique.

On présente des balades sur le thème de l’amour et de ses vicissitudes… un thème inépuisable qui touche, émeut et fait vibrer le public (c’est le retour qu’on nous a exprimé).

Il s’agit d’un contraste entre la voix puissante et inclassable de Jo, son jeu de guitare rythmique, le lyrisme et les mélodies du violon.

Le violon apporte une douceur qui s’immerge dans l’univers de Jo. Cela donne une couleur lumineuse et distincte à travers les lignes mélodiques. Ce qui est grisant, c’est qu’Aurélia trouve l’inspiration des mélodies à travers l’improvisation et l’immersion et ce souhait de fusionner avec les textes et les compositions.

Jo, en dehors de ta voix immédiatement reconnaissable, ton jeu de guitare est également particulier : une sorte de mélange entre jeu rythmique et percussif, harmonie, fragments de mélodies et lignes de basse, tout ça aux doigts et sans aucune pédale d’effet… Est-ce un style que tu développes en particulier ?

Oui bien sûr ! Au début, je jouais seulement pour accompagner ma voix. Puis, j’ai découvert de nouvelles techniques : arpèges, lignes de basse, rythmiques variées et je me suis dit que c’était une manière d’enrichir mon jeu. C’est ce que je développe et que je recherche à chaque compo.

Je suis sans cesse en train d’explorer de nouvelles combinaisons et de nouvelles rythmiques.

On a cru comprendre que tu étais également peintre. Est-ce que tu établis une connexion entre peinture et musique ?

Effectivement, c’est de plus en plus prégnant dans mon univers artistique. La connexion se fait dans les deux sens, ce sont deux univers parallèles qui s’entremêlent.

J’ai le projet de créer une exposition sur le thème du lien que je fais entre la musique et la peinture.

La peinture m’aide également à sortir de la musique et cela devient un exutoire quand j’ai envie d’une pause. Cela me permet de respirer autrement et de retrouver une inspiration différente… et vice-versa.

Aurelia, après plusieurs années passées dans le social, tu reviens vers la musique depuis peu à temps plein… Qu’-est-ce qui t’as fait franchir le pas ?

A : Je viens effectivement de quitter mon poste de responsable de centre de formation dans le médico-social pour me dédier à la musique en tant que violoniste et également en tant que chargée de diffusion. Depuis quelques années, la musique est revenue dans ma vie et c’est devenu une évidence pour moi de franchir le pas ! D’autant plus que depuis 2 ans avec le groupe Forro de 4 Tokes, je m’épanouis dans une magnifique aventure humaine et musicale.

J’ai travaillé pendant plus de 20 ans dans le secteur de la formation professionnelle pour adultes dans des secteurs variés (hôtellerie, restauration, insertion professionnelle, français langue étrangère, mode et industrie textile) avec des missions très polyvalentes : former, accompagner, coordonner, organiser, le management d’équipe de formateurs, la gestion de projet, l’ingénierie pédagogique. Des compétences que je souhaite mettre à profit pour mes nouvelles missions : accompagner les artistes, promouvoir leurs projets, négocier avec les programmateurs, booker des dates, monter des dossiers, organiser des événements, etc. C’est ce que je fais déjà avec le groupe Forro de 4 Tokes et j’ai également été missionnée pour faire la diffusion du groupe de Maluca Beleza (jazz, musique actuelle, autour des poésies du Brésil). Bien évidemment, je suis également aux manettes pour booker les dates pour le duo avec Jo !

Depuis quelques semaines, je suis tellement heureuse de me réveiller en pensant que je vais pouvoir travailler mon violon tous les jours, perfectionner mon jeu, bosser l’improvisation, reprendre le travail de ma voix, prendre le temps de rencontrer de nouveaux musiciens et de découvrir de nouveaux projets.

Ce sont de nouveaux défis qui s’offrent à moi et qui me réjouissent !

Quels sont les artistes qui vous inspirent particulièrement dans votre façon de jouer et de chanter ?

A : Je n’ai jamais vraiment été inspirée par des violonistes en particulier mais plutôt des styles de musique. Même si je proviens d’une formation musicale classique, ce qui m’anime aujourd’hui, c’est la diversité dans l’exploration du violon.

Depuis mon arrivée à Marseille, il y a 8 ans, j’ai choisi de donner une nouvelle orientation à ma pratique du violon (après 9 ans dans un orchestre symphonique) et j’ai découvert les musiques traditionnelles à travers les bals et les danses.

Le bal Folk est le lieu où se mélangent différents styles de danses et de musiques : polka, scottish, valse, bourrée, cercle circassien, etc.

En participant aux ateliers de danses et musiques de Marsatrad : je me suis complètement défaite des partitions et jouer à l’oreille a été vraiment une forme de libération pour moi. J’ai aussi appris à lire une grille d’accord il y a à peine 3 ans, langage qui m’était inconnu auparavant !

Il y a 7 ans, j’ai découvert le forró, cette danse de couple traditionnelle du nord-est du Brésil. J’ai pris une année de cours pour apprendre à danser et en parallèle, j’ai aussi exploré un nouveau répertoire musical où l’on ne trouve presque aucune partition. Ce sont des morceaux que j’ai travaillé exclusivement à l’oreille.

Concernant mon jeu, j’ai cherché une couleur différente dans le son en m’approchant du son de la rabeca (ndlr : cousin portugais du violon) : plus frotté, plus chuintant, plus « roots ». En termes de style : j’ai ajouté des glissando et des appogiatures, des doubles cordes. En termes de rythme : c’est le « resfolengo » qui domine le rythme forró : 8 doubles croches, accentuées sur la 1ère double, la 4ème et la 7ème.

Pour le projet avec Jo, je me suis reconnectée avec un son plus délicat et une approche plus « classique », une couleur plus douce dans le son et souple dans mon jeu d’archet notamment.

J : Pour le chant, j’ai énormément été imprégné d’abord par le blues, puis par le mouvement reggae : David Hins, The Steel Pulse, Bob Marley, Midnite (Vaughn Benjamin). J’ai aussi également été inspiré par les artistes traditionnels du Sénégal comme Cheikh Lo et des chants spirituels du mouvement Baye Fall (Sikar).

Pour mon jeu de guitare, j’ai su trouver mon propre style sans m’inspirer d’un musicien en particulier.

Vous avez déjà fait quelques scènes avec ce projet, d’autres dates sont-elles à venir ?

Effectivement, nous avons joué en duo à plusieurs reprises : Fine Cocotte, Champ de Mars, Galerie Solarium pour un format vernissage/concert : une belle expérience qui a permis de jouer avec les toiles de Jo en fond de scène. Pour l’instant, pas de date, mais en attente de réponses de certains lieux.

Des scoops à nous révéler, sur ce projet en duo ou d’autres formations qui vous tiennent à cœur ?

A : Pas de scoop en particulier pour notre projet qui est encore tout récent et qui ne demande qu’à se faire connaitre ; en tout cas, nous sommes prêts à proposer notre duo pour des salles qui programment des concerts intimistes, qui font voyager dans un espace-temps suspendu où l’écoute et l’immersion sont à l’honneur.

Vous nous avez offert une belle opportunité car vous avez réalisé un travail de qualité que nous pourrons diffuser auprès des programmateurs ! Merci !


Pour finir, la petite question rituelle : quels sont les trois albums que vous avez le plus écoutés récemment ?

J : Je suis dans une écoute obsessionnelle de Midnite, un groupe de Sainte Croix. Les albums que j’affectionne particulièrement sont : Ainshant Maps, Seek Knowledge, Jubilees of Zion.

A : L’album d’Ayom, un groupe de world music mené par une femme extraordinaire, Jabu Morales, qui propose des compositions originales où les styles fusionnent entre la musique populaire brésilienne, avec des influences afro-latines, afro-lusitaniennes et méditerranéennes.

L’album « Cantos Brasileiros » de Chinelo de Couro, groupe brésilien avec 3 voix féminines, rabeca et percussions qui m’inspire énormément en termes de répertoire, de style et d’harmonies.

J’ai récemment découvert un groupe qui m’a fait vibrer lors du Babel Music XP : les Barrut, 7 voix mixtes avec percussions, musiques traditionnelles chantées en occitan ! C’est incroyable !

J’ai également beaucoup écouté l’album de Jo, « Expérience » et j’ai hâte qu’il enregistre ses nouvelles compositions.

Jo

Aurélia