Episode n°8 – Zeynep Dilara Aslan & Philippe Gillet
Sillonnant l’Europe et le Moyen-Orient, la chanteuse turque Zeynep Dilara Aslan et l’oudiste et multiinstrumentiste Philippe Gillet ont fait une halte à l’Oustalet. Entre chants soufis et musiques traditionnelles de Turquie, leur musique fait écho à une quête spirituelle, un voyage mystique aux portes de l’Asie.
Bonjour Zeynep et Philippe, pouvez-vous vous présenter un peu à nos auditeurs ?
Zeynep :
Bonjour, moi c’est Zeynep. Je suis ici pour un voyage musical et humain. Je suis née à Trabzon en Turquie et je vis à Istanbul. Je suis actuellement architecte et graphiste. La musique a une place spéciale dans ma vie, elle me donne l’opportunité d’apprendre à mieux me connaître, ainsi que les autres.
Philippe :
Salut, je m’appelle Philippe. A la base, je suis guitariste de jazz mais je me suis aussi beaucoup intéressé aux musiques orientales que j’ai étudiées à Istanbul et dans différents pays du Moyen-Orient. Je vis près de Carcassone dans l’Aude. Je joue dans différents projets musicaux, principalement de jazz et de musiques orientales.
Comment vos routes se sont-elles croisées? Comment vous est venue l’idée de cette collaboration ?
Philippe :
Nous nous sommes rencontrés dans un rassemblement soufi dans la ville de Yalova, près d’Istanbul.
Zeynep :
Dans ce genre de rassemblement, des gens d’horizons très différents peuvent se rencontrer. Ils jouent et chantent des chants soufis et font le “Semah”, une sorte de mouvement spirituel. Ça ressemble un peu à une danse où on tourne sur soi-même.
Philippe : Plus tard, on s’est recroisé par hasard dans un “Meşk”, une sorte de “jam” traditionnelle. On a beaucoup aimé jouer ensemble et on a décidé de continuer.
Zeynep : Et maintenant on est là.
Pouvez-vous nous parler des 3 chansons que vous avez choisi d’interpréter pour cet épisode ? Quelles sont leurs origines ? De quoi parlent-elles ?
Philippe : La première est Mendilimin Yeşili. C’est une chanson commune à la Turquie et à la Grèce. Le makam ou gamme de ce morceau est le makam Saba. J’aime particulièrement ce makam, il a une sonorité très spéciale. Il est un peu atypique pour l’oreille occidentale.
Zeynep : J’aime énormément ce makam aussi. Il regorge d’émotions, comme cette chanson.
Philippe : Le deuxième morceau s’appelle Girdim Yarin Bahçasina, c’est un air Azéri. J’aime beaucoup cette mélodie. C’est le makam Hicazkar. Il a une très forte personnalité.
Zeynep : Et la dernière pièce s’appelle Geçer, dans le makam Nihavend. C’est un de nos morceaux favoris. Nous l’avons beaucoup joué dans des Mek. J’aime beaucoup ses paroles. Elles expliquent que toutes les bonnes et mauvaises choses qui peuvent arriver dans une vie humaine finiront, excepté le “Hakk”, la réalité cachée, l’amour du créateur. C’est une chanson en lien avec la mystique soufie.
Vous avez dit que vous vous êtes rencontrés dans un rassemblement soufi. Pouvez-vous nous parler un peu plus de cette culture en Turquie?
Philippe : J’ai toujours été très curieux des spiritualités et en Turquie je me suis intéressé au soufisme. Dans la tradition soufi, il y a différents ordres, les tarikats. Dans les cérémonies soufies, on joue parfois de la musique et alors on chante des chansons. Ces chansons sont les “Ilahis”. Ce sont quelques unes de ces pièces que nous jouons ensemble.
Zeynep : J’ai beaucoup écouté les Ilahis dans mon enfance. Je ne connaissais pas leurs significations à l’époque mais on les aimait beaucoup avec mes frères et ça nous amusait aussi. Maintenant, ça m’apporte beaucoup de joie quand je les chante et les écoute. J’apprends aussi beaucoup à travers eux et j’essaie de comprendre et de ressentir leurs messages. Ils sont très précieux pour moi.
Philippe : Avec Zeynep, on joue les Ilahis mais aussi des musiques folkloriques. En Turquie, comme dans tant de pays, il y a énormément de cultures et de groupes ethniques différents. Il y a la musique classique, qui est typique d’Istanbul, mais il y a aussi une partie des musiques Kurdes. Il y a les roms de Turquie, en Thrace essentiellement, et puis aussi la musique arménienne, les musiques de la mer noire etc. On joue un peu de toutes ces musiques aussi et j’en suis très content. Je prends toujours tellement de plaisir à découvrir de nouvelles cultures.
Zeynep : Découvrir différentes cultures et musiques en Turquie et ailleurs m’est aussi vraiment agréable. Ça m’apprend que même si les différents peuples ont des histoires différentes, ils ressentent les mêmes émotions. Réaliser les choses communes à des cultures parfois si différentes est une chance à mes yeux.
Pourriez-vous nous parler un peu des instruments utilisés, le oud et le bendir ? Est-ce une instrumentation habituelle pour interpréter ces chants soufi ?
Philippe : En Turquie, le oud est surtout présent dans la musique classique. Il se fait assez discret dans la musique folk. Dans la musique soufie, probablement à cause de l’influence de la secte de Rumi où il y a beaucoup d’instruments issus de la culture classique comme le ney, le kemence ou le tanbur, on trouve beaucoup de oud. Personnellement, j’aime beaucoup cet instrument à cause de sa grande polyvalence.
Zeynep : Le rythme a toujours eu une importance spéciale pour moi. J’ai commencé avec la derbouka, et puis j’ai appris le bendir. J’aime la profondeur et le naturel de son timbre. Il est aussi couramment utilisé pour accompagner les ilahis. Il y a d’autres percussions dans cette musique comme l’erbane, le def ou le kudum mais je me sens davantage connectée au bendir.
Qu’est-ce qui vous inspire de manière générale, et que cherchez vous à restituer à travers votre musique?
Zeynep : Le fait de se rappeler l’idée que “nous sommes l’humanité et nous faisons partie de la création” m’inspire particulièrement. Je pense et je sens que nous sommes reliés à la nature et crois que c’est vraiment important de ressentir ça pour vivre en paix. Je veux partager cette sensation avec les gens à travers la musique.
Philippe : La beauté. Pour moi c’est aussi religieux quelque part. Je pense que ressentir la beauté dans la musique nous amène au sacré. Mais pour moi, la musique a aussi un rapport au jeu, et j’aime beaucoup l’idée de “jouer” de la musique. Ça me donne du plaisir et par là même, j’espère que ça donne aussi du plaisir et de la joie aux auditeurs.
Vos trois albums d’île déserte ?
Philippe : Un disque de Debussy déjà, par Samson François. Et puis une compilation de luthistes baroques, joués par exemple par Hopkinson Smith disons. Et pour terminer, un disque de Darvish Khan au hasard.
Zeynep : C’est toujours très difficile pour moi de répondre à une question comme ça mais je vais essayer de répondre sans trop réfléchir. Dokunmak d’Erkan Oğur, O lovers, Music from the unseen world et Sami Yusuf et puis Karma de Tarkan. C’est vraiment un chouette trio !
Un dernier mot pour finir ?
Zeynep : Merci beaucoup pour votre invitation ! Je sais que la musique existe pour toujours et j’espère qu’elle vivra toujours à l’intérieur de nous.
Philippe : Merci aussi pour votre invitation ! J’ai beaucoup de respect pour votre travail à toi et Paola, c’est vraiment une chance que des gens comme vous créent des émissions comme celles-là !
Merci beaucoup à vous deux d’avoir apporté jusqu’ici ces chants qui vous tiennent à cœur ! Bonne tournée, et bon roadtrip à travers l’Europe et jusqu’aux confins de l’Iran !
Zeynep
Philippe